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Dr Jekyll ou Mrs Hyde
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8 mars 2007

Mes milles et une nuit

Sébastien est mort un jeudi, nos doigts étroitement liés, comme nos deux cœurs soudés. Mon beau Sébastien. Mort... Détruit, affaibli... résigné.

J’ai gardé son amour au plus profond de mon être. Il m’aide à vivre.

 

Titubant légèrement sur mes jambes trop maigres, je me dirige les yeux encore fermés, bien scellés contre la lumière, vers ma fenêtre. D’un geste ample et maladroit je propulse les volets vers le soleil, et immobile comme un chat me laisse submerger par la chaleur, sans vouloir encore en affronter la luminosité.

Je reste là, sans compter le temps que j’y passe. Parfaitement immobile, j’imagine le paysage que je connais si bien. Je le change, j’y mets de la pluie, du vent, du bruit, de la vie. Puis, impatiente, j’ouvre enfin les yeux pour les refermer aussitôt, incapable d’affronter la douleur que provoque tant de clarté.

 

J’ai vingt-deux ans ou plutôt je les aurai demain. Peut-être...

 

Le vacarme des voitures déchire le silence de mon appartement. Je l’accueille avec reconnaissance, je n’en pouvais plus de n’y percevoir que l’écho de mes larmes. J’aurai bientôt 22 ans et peut-être jamais 23. Cette incertitude me brise et me hante. Je ne pense à rien d’autre. Et puis penser à quoi d’autre ?

Qu’y a-t-il de plus important que la vie et la mort ! Quoi de plus essentiel que ce couple infernal  ! ? Qui demande à naître ? Qui veut mourir ?

 

J’épluche une orange. Sophie doit venir aujourd’hui. C’est presque jour de fête. J’ai une tête épouvantable. Quoi d’étonnant ?

Je ne dors presque plus. Pourtant, pour être tout à fait honnête, je suis jolie. Mon teint est trop pâle, mais il se mari fort bien avec mes cheveux. Mes grands yeux noirs mangent mon visage. Je me trouve follement romantique. La mélancolie me sciée douloureusement bien. Je suis la blanche neige des temps modernes. Y aura-t-il un prince pour me sauver, à la fin de l’histoire ?

 

Merde, j’en ai marre de ces idées noires !

 

J’aimerais tellement me réveiller un matin et avoir pour seule préoccupation la tenue que je vais porter. Ne vivre qu’avec l’ambition d’enquiquiner mes collègues de travail en leur soufflant une promotion bidon. Me prélasser à un bar et affoler toute la gent masculine du coin. Mais à quoi bon ?

 

A quoi bon rêver lorsque chaque jour passé est une victoire, lorsque seules les pages tournées de mon agenda me retiennent à la vie.

Je ne suis abonnée qu’à la désillusion de l’amour. Je suis rayée des listes électorales du bonheur conjugal. L’amour m’a tué, un certain jour de mai, lorsque l’on ma remis entre les mains le prix du sacrifice.

 

Cela fera bientôt quatre ans que la mort me montre du doigt. Je la connais bien, peut-être mieux que moi... à force de la choyer, de l’analyser, de l’expertiser. Elle n’atteint sa vraie dimension que lorsque l’on se sait condamner.

Certes, nous le sommes tous !

Mais la traîtresse ne garde sa mystérieuse attraction que pour celui qui ne la perçoit qu’en tant que concept : quand elle se voile encore du romantisme de l’abstrait.

Elle est alors considérée comme le raisonnablement envisageable, comme le serait l’achat d’une maison ou d’une voiture…

 

Quelques mois...

Quelques mois, quelques années, quelques siècles.

 

Le temps ne signifie plus rien. Il s’égrène inéluctablement, régulier comme les pelures de mon orange sur la nappe, sans raison particulière, sans but précis. Plus rien ne me rattache au cycle de la vie.

 

Pas d’amour, pas d’enfants... Pas d’enfants, pas d’avenir... Pas d’avenir, pas de vie... Pas de vie, pas d’amour. Ce cercle infernal ne me quitte jamais ! J’en suis prisonnière, non parce que je l’ai choisi, on m’y a enfermée tout simplement, tout logiquement pour me soustraire, m’oublier, me dissoudre dans le néant.

Le malheur des autres est moins laid lorsque l’on ne le regarde pas en face. D’un certain point de vue, n’est-il pas divinement pathétique ? !

L’horrible, l’épouvantable, l’intolérable devient alors une figure de style et non plus une douleur de l’être.

 

Comme elle doit être rassurante cette douleur décortiquée sous le feu des médias, comme elle reste lointaine, intouchable. Aussi irréelle qu’au cinéma ! Aseptisée, inodore et incolore.

Qui n’a pas imaginé de s’approprier le rôle du grand chirurgien salvateur, du bel aventurier, de la divine espiègle, de la fatale amoureuse, de l’adorable emmerdeuse ?

Comme il est agréable d’enfiler une peau puis une autre, pour revenir à sa confortable mesure.

Moi, la mienne ne l’est pas ! Ma peau me serre aux entournures, le rêve est pour moi une échappatoire et non plus une agréable gymnastique de l’esprit ! Il m’est nécessaire, vital ! Bien que toujours douloureux.

Comment se résigner à ne vivre que par procuration ! La vie des autres, ceux faisant partie de la norme, m’offrent le plus déchirant des spectacles parce qu’il m’est refusé d’y participer.

 

Je ne suis plus qu’une ombre parmi les ombres. Un souvenir de ce que j’aurais pu être, une image qui s’efface dans le présent. Une déformation de mon passé. Aux yeux des autres je n’existe déjà plus. Je suis un spectre calamiteux.

 

Dieu ! Je suis vivante ! Ouvrez les yeux ! Regardez-moi enfin ! Ne me laissez pas parmi les vivants comme une morte en sursis. Oubliez votre peur ! C’est moi qui vais mourir... 

Un peu plus vite que vous seulement.

Vous ne frôlerez pas la grande faucheuse en me tenant la main ! La vieillesse est-elle plus digne de votre compassion ?

Mais je m’égare, je sais bien que quel que soit le suaire dans lequel on se drape, l’image qu’il renvoi nous glace tous d’effroi... 

A quoi bon s’indigner ! Chacun de nous devra, le moment venu, regarder et épouser cette promise récalcitrante.

Voilà, j’ai effacé mes larmes, lissé mes cheveux. Voilà, je viens, ma douce, mon amie. J’arrive ma chère Sophie.

 

Encore deux heures délectables qui m’ont réconcilié avec le monde. Elle est si douce, ma Sophie. Si mignonne aussi. Oh ce n’est pas une fille comme moi ! La vie la dévore à pleine dent. Derrière ses yeux, il n’y a que tendresse. Chaque minute passée avec elle, est une bénédiction. En ce moment, elle court déjà vers un autre rendez-vous. Vers une autre âme en peine. A sa manière, c’est une sainte. Certainement pas dans le sens ou beaucoup pourrait le comprendre. Elle ne s’emmure pas dans des carcans de préjugés et de bonne éducation.

Elle est généreuse. Généreuse envers la vie dans laquelle elle se glisse avec volupté. Généreuse envers nous autres, les laissés pour comptes. Honnête aussi ! Ne peut-on qualifier ainsi le courage de celui qui ne détourne pas le regard face à la plus primitive des frayeurs.

 

Ma mère m’a appelée ce soir. Je ne m’y attendais pas vraiment. Cela fait si longtemps que je refuse de les voir. Par rage et rébellion, autrefois. Maintenant c’est une habitude bien confortable. Je ne les oblige plus à m’accepter telle que je suis. L’image qu’ils ont de moi ne m’est plus intolérable. Ils ont gagné le droit de s’inventer une fille sur mesure.

Moi, j’y ai trouvé la paix.

 

Si cela a été dur pour eux, ça l’est un peu plus pour moi. Papa me manque un peu. Pour être honnête, il me manque énormément. Mon fidèle chevalier servant ne l’est plus, depuis qu’il a apprit le déshonneur de sa fille... Qu’y a-t-il de déshonorant dans l’acte d’amour. Ne l’ont-ils pas pratiqué pour fabriquer leur petite fille ex-chérie ?

 

Est-ce seulement honorable dans le mariage ? Et pourquoi ?

N’est-ce pas alors un alibi. Pour camoufler le plaisir dans le devoir ? Qu’y a-t-il de si coupable dans la jouissance ? Serait-ce pour eux l’inavouable impudeur de l’âme exposée. Car dans le plaisir, nous nous dévoilons à l’autre. Sans dissimulation et donc sans peur. Pourquoi faut-il avoir peur de se dévoiler aux autres ? Peut-être est-il plus simple d’accuser de peur d’être jugé... ?

Quelle liberté que de se sentir libérée de ces absurdités...

 
Sébastien est mort un jeudi, nos doigts mêlés, comme nos deux cœurs soudés. Mon beau Sébastien. Mort... Détruit, affaibli... résigné. J’ai gardé son amour au plus profond de mon être. Il m’aide à vivre.

 

RN©2007

 

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Dr Jekyll ou Mrs Hyde
  • Nous vivons dans un monde de violence. Mais la violence est d'abord en chacun de nous. C'est l'aspect obscur de la nature humaine : l'agressivité, la destructivité, la cruauté. Comme le bon Dr Jekyll, chacun de nous porte en lui un ténébreux Mr Hyde.
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